Conférence du 6 mars 2020 : Anaïs THEVIOT - Les campagnes électorales sur Internet

PRESENTATION  MAGIE MAGIMEL
Note de Jean-Pierre Benoit


Anaïs Theviot est maîtresse de conférences en sciences politiques à l’UCO. Ses travaux portent principalement sur l’usage du web en politique. Elle a publié en 2018 Faire campagne sur Internet aux Presses Universitaires du Septentrion et en 2019 aux éditions Le bord de l’eau, Big data électoral : dis-moi qui tu es je te dirai pour qui voter. 18 euros.

Une campagne électorale ne peut plus se concevoir sans Internet. L'usage intensif de Facebook et Twitter a-t-il changé les manières de faire campagne ? Face à la rétractation de l’engagement partisan, Internet est-il un moyen d’« ouvrir » les partis politiques à de nouvelles formes de militantisme et à de nouveaux adhérents ? La sociologie des professionnels de la communication politique est-elle modifiée par la technicisation des pratiques ? Le web 2.0 est-il une arme politique d’un nouveau genre ?
Pour répondre à ces questions, Anaïs Theviot s’est appuyée sur une enquête approfondie auprès des adhérents (réponses à 1 000 questionnaires, et une centaine d’entretiens) et des équipes web de campagne.. Sa conférence débat propose d’entrer dans les coulisses stratégiques d’une campagne électorale en ligne pour mieux saisir ce que le numérique fait au politique.

1 - REMISE EN CONTEXTE
11 - Prémices :
  • 2001 balbutiements avec Martine Aubry à Lille
  • 2002 Jospin « présider autrement » commence par « faire campagne autrement », y compris par internet
  • 2004 web blog en politique
  • 2005 référendum sur la constitution européenne : blogs pour ou contre, prise de conscience de ce qu’on peut faire, vue la montée en puissance du « non » en ligne, hors médias : sans les réseaux sociaux on observe déjà la bulle filtrante et la polarisation.
  • 2006 l’adhésion sur internet : la campagne à 20 euros du PS lui amène 75 000 adhérents directs, alors qu’avant il fallait être présenté et soutenu par trois membres, payer une cotisation proportionnelle à ses revenus… Ils votent pour désigner le candidat aux présidentielles ce qui perturbe les plans des « éléphants ». Beaucoup n’ont pas réadhéré, déçus, se sentant mal accueillis, les cadres locaux s’en méfiant, isolés en section …
  • 2007 le site de Ségolène Royal « Désir d’avenir » promet une démocratie participative. Nouvelles déceptions de ceux qui y ont fait des contributions non reprises dans son programme.
  • 2010 Réseaux sociaux de partis avant la campagne (les Créateurs du possible pour l’UMP, les Démocrates pour le Modem ou La Coopol pour le PS). Ces outils ont assez peu fonctionné en fait. Par exemple à La Coppol les « courants » et les « écuries » encadrent les débats, ce qui déçoit.

12 - Une campagne permanente depuis le développement des réseaux sociaux et des chaînes d’information continue
  • 2012 Twitter émerge : près de 30 000 followers du compte du PS le 20 avril mais des différences pour penser le numérique : les « petits jeunes » de l’équipe web sont mal vus par les caciques, c’est « la chambre des enfants », dévalorisation, le web n’est considéré par eux que comme un outil de communication. Par le big data à partir des traces laissées en ligne, mobilisation des abstentionnistes de gauche, ce qui a permis de faire gagner 1 à 2 points à François Hollande et a contribué à sa victoire. Le site de FH ne bloquait pas les trolls adverses pour donner une image d’ouverture, mettre en avant le débat et la démocratie participative même si les commentaires étaient peu lus après, mais il les contrait par d’autres commentaires. Au contraire, sur le site de N. Sarkosy pas de commentaires, mais de simples like.
  • 2016 plusieurs candidats aux primaires s’appuient sur la plateforme NationBuilder, afin, notamment, de construire quasi automatiquement une base de données en croisant les informations fournies par les visiteurs du site et les données de leurs comptes Facebook et Twitter, notamment leur biographie. Connaissant leur profession et leur adresse on peut leur adresser des courriels ciblés, personnaliser les campagnes …
  • 2017 tous les candidats ont eu recours au big data important pour mobiliser les abstentionnistes gagnables.
2 - LES RESEAUX SOCIAUX

21 - Les réseaux sociaux, un moyen de toucher les électeurs non intéressés par la politique
  • 2017 Chaîne You Tube de J-L Mélenchon : des vidéos avec les codes du support (tutoiement, face caméra…). Objectifs adoucir son image de colérique, violent « Je suis le bruit et la fureur » … Convaincre les indécis, les abstentionnistes gagnables. Créer son propre média mais aussi amener les médias traditionnels à parler du candidat.

22 - Désinformations sur Facebook
  • 2016 aux E-U « Le pape soutient Trump », alors que le pape François avait déclaré au sujet de cette candidature : « Une personne qui veut construire des murs et non des ponts n'est pas chrétienne ».
  • 2017 photo de F. Hollande avec M. Merah : origine FN. De plus en plus de gens s’informent seulement sur les réseaux sociaux qui ont un effet de « bulle filtrante ».

3 - INTERNET, OUTIL DE MOBILISATION VERS UN NOUVEAU MILITANTISME ?

Live tweet, riposte party lors de débats pour soutenir son candidat sur Facebook ou Tweeter.
De fortes résistances au porte-à-porte rationnalisé visant les abstentionnistes gagnables : pas plus de 5 minutes d’entretien, pas de discussion … ces grilles proposées aux militants sont jugées frustrantes.

La nouveauté est qu’on peut cibler les gens : les équipes d’Obama avaient déjà 600 informations par personne ce qui permettait aux militants d’adapter leur communication dans les porte-à-porte (marketing) à la différence des slogans (publicité).
Aux E-U on s’adresse à des communautés, chose qu’on ne peut faire explicitement en France ou en Europe, où il y a plus de protections de données personnelles.
Le big data permet des recoupements de données mixées, personnelles et publiques, par bureau de vote, sur la base des données des élections précédentes alors qu’aux EU on peut s’adapter aux fluctuations éventuelles depuis la précédente élection.

De nouveaux métiers apparaissent comme « data analyste » …

CONCLUSION
A suivre, puisqu’Anaïs Theviot travaille, dans le cadre d’un programme ANR sur les prochaines élections américaines et françaises …

DEBAT
Fin du militantisme de terrain ?
Rendre plus efficace la campagne de terrain. Cela s’ajoute aux outils habituels.
Le candidat, toujours au centre de la campagne ?
Ces outils ne suffisent pas : savoir qui cibler, oui mais l’humain, la personnalité du candidat comptent aussi.
Comment amener les gens à se réapproprier la politique ? A Nantes aux dernières élections 46 % d’abstentionnistes
Couples techniciens du big data et politiques élus, les clowns  (« Bojo », Trump…) et les ingénieurs derrière eux (Cummings, son chef de campagne en 2016 et 2019 et conseiller actuel …) ?

Ne travaillant pas sur le cas britannique préfère ne pas répondre.
Efficacité ? Difficile d’isoler ces éléments dans un succès. Des membres de l’équipe de F. Hollande de 2012 ont fondé leur entreprise, Fédéravox, et ont vendu un argumentaire d’efficacité affirmant que cela permet un taux de reports supérieur à celui d’autres techniques.
Enjeu de modernité : montrer qu’on n’est pas en retard, notamment vis à vis des EU, bien qu’à une autre échelle, les moyens engagés dans les campagnes n’étant pas du même ordre. Par exemple J-L Mélenchon disant qu’il utilise les mêmes techniques que celles de B. Sanders … cf sa démultiplication par hologrammes.
Profil des équipes numériques ? La trentaine ou moins, mais sciences po souvent : ce ne sont pas seulement des hackers.

Notes de Jean Pierre Benoit ; de Nantes Université, (à l’UP cours « rhétoriques, propagandes et manipulations verbales »)
Mis à jour le 22 mars 2022.
https://up.univ-nantes.fr/conference-du-6-mars-2020-anais-theviot-les-campagnes-electorales-sur-internet