Conférence du 25 janvier 2019 : "Télévisions et campagnes électorales" Isabelle Veyrat-Masson

Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherches au CNRS, historienne et sociologue des médias.
Elle a notamment publié en 2014, une histoire de la télévision française (Edition du Nouveau Monde)
En 2018, elle participe à l'ouvrage collectif La puissance des images (Edition du Nouveau Monde) qui rassemble des textes de la revue Temps des médias

Présentant la conférencière, Patrice Saint-André  souligne la puissance des images, en prenant pour exemple la photo de la petite vietnamienne courant, nue et brûlée par le napalm (Nick Ut, 1972). Une image qui a provoqué un électrochoc aux Etats-Unis et dans le monde, modifiant le cours de la guerre du Viet-Nam. Dans le domaine politique les images sont en lien avec le marketing politique.

Quelle est donc l’influence des médias ?
Isabelle Veyrat-Masson prend pour exemple, la dernière campagne présidentielle de 2017 car elle n’a ressemblé à aucune autre. Si Emmanuel Macron, homme nouveau, a été élu c’est surtout grâce à la télévision.  
On compare souvent les campagnes à une course de chevaux - voire de rats, prêts à tout – ou à un théâtre ou à des concours de récits (storytelling). Cette dernière campagne a été plus proche d’une « saison » de télé réalité comme Le Loft, au moment où  Trump, familier du genre est élu.
En 2012 voire 2007 il y avait déjà eu des prémisses de cette tendance, notamment avec N, Sarkozy.
A noter que BFM story, une des premières émissions de la chaîne, est toujours à l’antenne aujourd'hui.  Pas question ici de dénoncer la vie politique, il s’agit de faire des rapprochements cf Goffman le monde comme théâtre.
La télé réalité c’est un jeu de fiction où chacun a un rôle. Le jeu est en direct, l’impudeur y est obligatoire et il y a des séances régulières de confessionnal (le genre vient de pays protestants …)
Que cette campagne tourne à la télé réalité  n’a été possible que parce que le contexte l’a permis, notamment du fait de la multiplication des chaînes de télé d’information continue et de leurs directs.  
On y a vu, dans un climat dégagiste, une compétition avec des éliminations successives, dès les primaires dans les deux camps, des alliances plus ou moins éphémères et l’animatrice Karine Lemarchand de L’amour dans le pré y a présenté dans Ambitions intimes un badinage mettant la politique au second plan derrière la personnalité des candidats. Lors des primaires de la droite et du centre cette émission a servi F. Fillon.
On y a vu aussi des séquences de confessionnal : F. Hollande pour annoncer qu’il ne ne se représentait pas, F. Fillon deux fois, F. Bayrou expliquant pourquoi il soutenait Emmanuel Macron.
L’émission politique de France 2 a été importante, or, si elle a des parentés avec celles qui l’ont précédée, elle a aussi des spécificités qui la rapprochent de la télé réalité : l’homme politique y est soumis à un véritable parcours du combattant en séquences comme Qui est-il vraiment ? Demandez le programme, Le parti pris de Léa Salamé, Prise directe, type judo, puis Sans filet et Laissez-moi vous dire, avant le clou de la soirée, L’inattendu, une confrontation surprise. L’ensemble vise à déstabiliser l’invité, avant le vote qui évalue sa « crédibilité » et sa performance de la soirée et la conclusion est laissée à l’humoriste Charline Vanhoenacker. On est au-delà de l’entertainment, l’information-divertissement.
Téléréalité aussi du fait des événements imprévus de la campagne, les affaires Fillon et la découverte de l’atypique couple Macron dans Paris Match et la presse populaire. L’agence Bestimage de Mimi Marchand a joué un rôle ici. On a parlé de F. Fillon 100 heures de plus que des autres candidats, avec des sommets comme le meeting où il déclare son amour à Pénélope où encore celui du Trocadéro…
Le débat d’entre deux tours a été, cette fois, une sorte de Jeu de la mort, Marine Le Pen le jouant téléréalité à la Trump, sachant qu’elle avait du retard dans les sondages : dire tout et n’importe quoi avec aplomb, multiplier les agressivités,  les calomnies et les « fakes news », surjouer la Méduse moderne en pensant ainsi déstabiliser E. Macron qu’elle avait analysé comme jeune et sans expérience de campagnes électorales. Le rapport de force s’est retourné contre elle, car Macron a fait preuve d’une courtoisie froide et de calme. Habituellement les duels déplacent peu les voix, ici davantage.
Cette année là internet n’a été qu’un écho des vieux médias, la télévision, on l’a vu, mais aussi la presse comme le Canard enchaîné qui n’a pas de site web.  Internet a renforcé leurs effets, agissant comme une caisse de résonance. Il n’y a jamais eu autant de téléspectateurs mais ce spectacle a participé à la disqualification du politique et on a vu qu’il a même fragilisé le vainqueur, élu après ce jeu imprévisible.

Questions...

La télévision a-t-elle vraiment une influence sur les opinions des Français ?
Nous changeons difficilement d’avis et quelques images (ou articles) ne suffisent pas. Après Le Viol des foules par la propagande politique de Tchakhotine on a cru, les décennies d’après-guerre, qu’Hitler avait gagné grâce à la presse et à la radio, dont il s’est assuré le monopole dès sa victoire électorale. Cependant depuis 1989 on a vu que dans les ex-pays de l’Est les gens n’ont pas été convaincus par leurs télévisions et radios officielles et qu’ils ne sont pas redevenus communistes depuis. Nous avons de puissants filtres d’interprétations. Ils sont fabriqués par notre passé personnel et familial, notre parcours …
Un paradoxe : plus un média est considéré comme puissant et dominant plus on s’en défie, car on n’accepte pas l’idée d’être manipulé. La radio qui est moins dominante qu’autrefois est davantage crue et plus internet est utilisé plus il y a défiance : la télévision pourrait donc  redevenir un repère face à Internet.

Les gilets jaunes ?
Ce mouvement a permis de rompre la spirale du silence, où on se taisait parce qu’on se sentait isolé. Avec les réseaux sociaux ceux qui se pensaient minoritaires découvrent qu’ils ne sont pas seuls, ils s’expriment, mais entre eux, d’abord dans les réseaux sociaux …
Ce soir la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa va pour parler politique chez Hanouna, dont l’émission est connue pour son machisme potache et cru. Mais cette émission s'adresse à un public de jeunes, ce qui la différencie des autres émissions, regardées par un public plus âgé et CSP plus. Le fait qu’elle co -anime l'émission lui permet de contrôler davantage que comme simple invitée.

Médiapart et Bestimage, quel impact ?
Média et information : la circulation de l’information n’est pas obligatoirement liée aux médias. Elle circulait par les colporteurs autrefois, actuellement par les amis, les collègues, la famille …
Médiapart : important pour les informations qu’il « sort », sans doute moins par ses commentaires.

Pourquoi des abstentions croissantes après une campagne si palpitante ?
Marchais ou Sarkozy avaient des audiences importantes, mais l’approbation c’est autre chose …
Le dégagisme de la campagne de 2017 a fait que beaucoup de gens n’avaient plus  « leur » candidat.
Les députés LAREM ont été élus sur la tête du président.


La loi contre les « fakenews » ?
C’est une erreur et c’est dangereux si un gouvernement actuel ou futur considère comme faux ce qui n’est pas conforme à ses positions.

Quels conseils donner à qui veut décrypter les images ?
Avant le numérique on voyait plus facilement les trucages. Comme on ne peut plus voir ce qui est truqué,  pour certains tout se vaut, avec le risque de ne plus rien croire, une défiance généralisée. Le scepticisme peut nourrir le complotisme.

Prolongement : son livre La confusion des genres étudie des cas où on s’est servi de faux documents pour rendre compte du vrai.
Notes de Jean Pierre Benoit et Patrice Saint-André (janvier 2019)
Mis à jour le 22 mars 2022.
https://up.univ-nantes.fr/conference-du-25-janvier-2019-televisions-et-campagnes-electorales-isabelle-veyrat-masson